Du 6 fév au 3 mars 011 (Antar)

Antarctique (6 février au 3 mars 2011)

Par échange de mails, nous apprenons que Podorange doit arriver le 2 ou le 3 février à Ushuaia. Nous ne tenons plus en place et nous nous rendons dès le 2 mars a l’Afasyne, le club nautique d’Ushuaia. Il vient juste d’arriver. Florent et Corinne sont sur le pont, Brice, le skyper, est allé louer une voiture. Nous le rencontrerons sur le ponton lors du retour.

Il nous faudra néanmoins encore patienter quelques jours avant de pouvoir embarquer. Le dimanche 6 février est le grand jour. Nous passons notre matinée et notre début d’après-midi à préparer nos sacs et le camping-car. Vers 15h, ça y est, sacs bouclés, camping-car garé, un taxi est appelé… et direction Afasyne. Nous prenons nos quartiers. Petite, vraiment petite cette cabine et on n’y voit pas très clair. Mais bon, c’est la « grande aventure », tant attendue pour moi, qui va bientôt débuter.

En attendant la bonne fenêtre météo, nous allons dîner le premier soir dans un resto de la ville en compagnie… d’Isabelle Autissier, navigatrice française qu’on ne présente plus (elle fut notamment la première femme à accomplir un tour du monde en solitaire en compétition). Elle partagera notre table. Vrai ! Passionnée par l’Antarctique, elle y navigue chaque année. Elle en revient ce soir précisément. Le lendemain, elle viendra discuter avec nous sur Podorange.

La bonne fenêtre s’ouvre deux jours plus tard. Mardi le 8 février, nous entamons donc notre voyage par la traversée du Canal Beagle. Là nous commençons à prendre nos quarts, entendez « veille sur le pont avec le barreur pendant trois heures et ce toutes les 6 heures ». Je prendrai le 1er à 21h jusqu’à minuit.

Une fois passé le Beagle, nous naviguons sur le plateau continental créé par la Cordillère des Andes qui se jette dans l’océan. Endroit redoutable en cas de tempête, car ici la profondeur passe brusquement de 300 à plus de 4000 mètres. D’énormes vagues venant du large peuvent alors, au contact de la cordillère, déferler comme sur une plage, et renverser sur leur passage l’embarcation qui s’y trouve. En langage de marin, on appelle cela un 360, ou encore un « soleil », si le bateau monocoque fait un tour sur lui-même. Le lendemain vers 6h du mat, nous passerons, bien au large, le Cap Horne.

Nous aurons ensuite droit au fameux détroit de Drake ou « Drake Passage », soit le passage réputé comme le plus dangereux au monde, « UN ENFER DE VENTS, DE COURANTS ET D’ICEBERGS ». Les vents de l'extrême sud, les 40e rugissants et les 50e hurlants, ne sont arrêtés par aucune terre et ne sont donc pas atténués. De plus, contraints par le continent antarctique et par la cordillère des Andes, ils s'engouffrent directement dans l'étroit passage de Drake, pouvant donner lieu aux pires tempêtes.

Ici se trouve aussi le puissant courant circumpolaire antarctique, là où toutes les eaux des océans du globe transitent. Ce courant circumpolaire antarctique possède un débit de 150 millions de mètres cube d’eau par seconde, soit 150 fois le débit de tous les fleuves réunis dans le monde.

Les icebergs voyageurs peuvent aussi faire partie du tableau.

Tous ces éléments réunis font du passage de Drake un endroit redouté et redoutable.

Mais ce mercredi 9 février, il nous accueille avec un temps clément et des vents arrières, pour notre confort, heureusement, car cela tangue déjà fortement.

Très vite deux équipes se forment, celles des quarts, les quaristes, et celle des bannettes (entendez un lit rigide en forme de brancard pour vous soutenir lors du roulis), les bannistes. J’ai clairement, même si bien involontairement, choisi mon camp. Après avoir fait deux quarts, ce sera, pour moi comme pour Jeannine, quatre jours de bannette sans interruption. Le retour fut tout aussi laborieux.

Pour Xavier et le reste de l’équipe, la tournée infernale des quarts continue, trois équipes se partagent les 8, et oui, quarts suivants : 00h-3h, 3h-6h, 6h-9h, 9h-12h, 12h-15h, 15h-18h, 18h-21h et 21h-24h avec donc six heures de repos entre chaque « duty ». La plus dure combinaison selon Xavier étant le 18h-21h, 3h-6h, 12h-3h et 21h-minuit, qui se représente mathématiquement tous les 3 jours. Tout le monde est ainsi mis à rude épreuve. Il faut rester debout ou assis dehors, par tous les temps et toutes les conditions de mer (pluie, embruns, vent jusqu'à 45 nœuds…), de jour comme de nuit pour assister le barreur en cas de besoin, aider lors des manœuvres (empannage ou virement de bord, bordage des écoutes, choque des bastaques, prise de ris…) ou, à l’approche de l’Antarctique, surveiller les icebergs à la dérive mais surtout les « growlers » - gros glaçons de plus d’un mètre et moins de 5 - qui ne sont pas visibles sur l’écran de contrôle. Ces glaçons, durs comme le béton, peuvent occasionner de gros dégâts.

Mais avant de remplir ses obligations sur le pont, il faut s’habiller. Tâche oh combien facile sur la terre ferme, mais qui, en mer, peut réellement tenir de l’exploit.

Pour cet exercice, il faut :

1) fixer le crochet qui va permettre à la porte du placard de rester ouverte et de ne pas vous mettre hors jeu dès le début ;

2) se positionner en fonction du roulis et de la gîte pour atteindre et non pas s’effondrer dans le fond de ce fichu placard ;

3) décrocher ou arracher comme on peut son manteau, son pantalon ainsi que son gilet de sauvetage ;

4) se débrouiller pour enfiler le tout sans se prendre un billet de par terre ou percuter ses coéquipiers qui s’adonnent au même exercice;

5) mettre cagoule, bonnet, gants et filer le plus vite possible sur le pont afin de pas risquer l’étouffement.

Là, entendez sur le pont, il faut encore arrimer sa longe à une des 2 lignes de vie et arriver vivant à son poste, sur une ou 2 jambes, en enjambant winchs, bouts et autres chausse-trappes.

Voilà donc un petit aperçu de la vie des « quaristes ». Du côté des bannettes, la vie est plus monotone : elle s’écoule dans le noir le plus complet afin de calmer, comme on peut, les maux de tête, de ventre et de bien d’autres choses... Ouverture des yeux et changement de position dans la bannette, uniquement si vraiment, vraiment nécessaire. L’épreuve la plus redoutée des bannistes, est l’épreuve des baños. Aller aux toilettes remet tout en cause. Si on commençait à se sentir mieux, il n’y a rien de tel pour replonger en enfer. Voici la procédure. 1) Réussir à s’extirper de la bannette, toute une aventure en soi. 2) Affronter le couloir tel un zombie saoul et braver le roulis qui ne demande qu’à vous coller aux murs. 3) Espérer, naïvement, passer inaperçue dans son beau pyjama et avec sa belle coiffure en broussaille. En règle générale, trois heures suffiront pour récupérer de cette péripétie.

Je tiens à dire que Xavier devrait avoir la médaille du mérite, fidèle aux 4 jours de quarts à l’aller et aux 5 jours au retour, s’occupant entre deux quarts de Charline et de sa moitié mourante dans la bannette… Jamais il n’a failli. Il fut par ailleurs le seul passager à ne pas être malade (mais il paraît que cela, ce n’est pas normal). Pour parler de Charline, le Drake, elle a… adoré. Elle était en pleine forme. Maman KO, Papa au quart, Charline a fait sa petite vie toute seule dans la cabine, en dessinant, coloriant et regardant des films vidéo tranquillement.

Après cette petite vie chacun de son côté, nous serons réunis à l’arrivée, à l’île de Deception (South Shetland Islands) : l’Antarctique, enfin !

Ici commence donc un autre voyage, dans un univers immaculé de blanc.

Ce fameux continent, qui partit s’isoler voici plusieurs millions d’années n’appartient à personne, mais nombreux sont ceux qui tentent de se l’approprier. Sa protection est assurée par le traité de l’Antarctique signé en 1959. L’interdiction de toute exploitation y est normalement garantie jusqu’en 2041. Il semblerait que son sous-sol regorge d’or, d’argent et de pétrole.

L’Antarctique est le continent de tous les extrêmes et de tous les superlatifs. Le voici en quelques chiffres :

• Surface : 13,661,000 km2 (soit les Etats-Unis et le Mexique réunis).

• 90% de la glace mondiale se trouve en Antarctique.

• 4.000 mètres de glace en son centre permettent de remonter 900 mille ans en arrière.

• -89 degrés Celsius est son record de température négative enregistré à la station Vostok en juin 1983.

• 322 km/heure, le record du monde de vitesse de vent soutenu.

• 24h de nuit en juin.

• 24h de jour en décembre.

• 96 km de large, soit le plus large glacier du monde, pour le glacier Lambert.

• 294,5 km de long et 37 km de large furent les dimensions du plus grand iceberg que l’on a pu observer.

• 40 bases scientifiques permanentes, dont 6 pour l’Argentine et la Russie, 3 pour le Chili, sans oublier celle de la Belgique.

• 4.000 résidents en été, 1.000 en hiver mais pas de résidents permanents.

• 36 875 touristes en 2009-2010.

Nous voici donc sur le terrain d’aventure…

… d’Adrien de Gerlache de Gomery (1866-1934 ).

De Gerlache fut le 1er à hiverner en Antarctique avec le Belgica en 1898 et à en ramener des données scientifiques essentielles pour la connaissance de ces régions. Il repose en paix au cimetière de Gomery où sa famille possédait un château (Virton).

Une pensée donc pour notre ancêtre belge lors du Détroit de Gerlache, les îles d’Anvers et de Brabant, le canal Lemaire. Nous ne passerons cependant pas par Liège…

… de Jean-Baptiste Charcot (1867-1936).

Inspiré par de Gerlache, il s’y rendit en 1904 avec le Français et monta la première expédition française en Antarctique. Il hiverna sur l'île Wandel. En août 1908, Charcot part hiverner à l'île Petermann pour sa deuxième expédition polaire avec le Pourquoi-Pas. Nous aurons le plaisir de passer sur les traces de ses deux hivernages.

Nos différents mouillages :

South Shetland Islands

* Deception Island

Un volcan toujours en activité dont le cratère est submergé. Nous aurons le plaisir de prendre un bain chaud dans ses eaux sulfureuses et de visiter l’ancienne baleinière faite de veilles tôle rouillées donnant à l’ensemble une ambiance de désolation totale.

Western Antarctique Peninsula

* Entreprise Island

Fabuleux endroit où nous nous amarrerons à l’épave d’un ancien baleinier. 1er pied à terre. Bonhomme de neige avec Charline avec une vue superbe et panoramique sur les montagnes environnantes. Puis balade en zodiac parmi les phoques et les otaries, sans oublier ce joli manchot jugulaire perdu qui avait l’air tout paniqué.

* Baie Skontorp près de Paradise Island

Belle anse où se logent plusieurs glaciers, belle balade en zodiac pour explorer les icebergs les growlers et les phoques, ainsi que les otaries qui jouent à proximité du zodiac.

* Port Charcot en passant par le canal Lemaire et le cimetière des icebergs

Mouillage plus que sportif sous la pluie et le vent. 1er essai infructueux. Nous devrons nous déplacer pour enfin sécuriser Podorange. Une surprise nous attend pour la nuit : des quarts de mouillage, afin de s’assurer que nous restons bien amarrés. Chacun de nous prendra ainsi un relais d’1 heure. Mais cette fois, la veille se fera bien au chaud près de la table à carte. Privilégiée, je prendrai le 1er quart de 23h à 24h.

Le lendemain, balade là où Charcot hiverna pour la 1ere fois avec le Français et vin chaud contemplatif près du « cairn » qu’il y construisit (amas de pierre au-dessus d’une colline qui servait à se repérer. Charcot adorait faire des « cairns » et y laissait souvent des messages). Vue splendide. Balade parmi les otaries et les manchots. Au loin nous apercevons le bateau de Jérôme Poncet (lui et Gérard Janichon partirent explorer en voilier l’Antarctique sur Damien, lors de leur tour du monde débuté en 1969. Ils donneront l’envie à toute une génération de marins français de tenter également l’aventure). Aujourd’hui, la renommée des marins français dans ces eaux n’est plus à faire.

Le Canal Lemaire ou la « Kodak vallée » porte bien son nom : « clics clacs » incessants à la vue des baleines, manchots, phoques, de superbes paysages baignés de soleil et d’icebergs à volonté.

Cimetière des Icebergs : grand rassemblement d’icebergs, se frottant parfois les uns aux autres. Ils sont ici pris au piège par les courants pour notre plus grand plaisir.

* Station Ukrainienne Vernadsky en passant par Petermann Island

Chez les Ukrainiens, la vodka coule à flot et les cadeaux pour Charline également ! Quel accueil, quelle ambiance détonante et « venue d’ailleurs » avec leur soirée karaoké. Est-ce la tempête magnétique qui sévit actuellement qui rend l’ambiance si chaleureuse ? Pour le côté plus sérieux, c’est ici que l’on a découvert le trou dans la couche d’ozone. Lors de la visite guidée, nous pourrons voir l’appareil qui l’a détecté.

Cet endroit sera notre position la plus au sud (S 65o-14’-287’’et 0 64o-14’-991’’).

Petermann Island : nous marchons sur les traces de Charcot, entourés de manchots. Nous irons visiter le refuge argentin.

* Port Lockroy par le canal Peltier et Dorian Bay

Port Lockroy fut une base des forces armées britanniques, la « base A », puis une ancienne station scientifique britannique.

La « base A » a été construite en février 1944, suite à la décision du gouvernement britannique de lancer l'opération secrète, appelée opération Tabarin. Cette base était destinée à collecter des informations sur les activités ennemies et sur les conditions météorologiques.

Aujourd'hui, Port Lockroy est un site historique ouvert au public, composé d'un musée, d'un magasin de souvenirs et d’une poste. Nous aurons donc l’occasion de faire quelques achats et d’envoyer quelques cartes postales.

Moment de contemplation des reflets lors de notre passage par le canal Peltier et d’admiration devant la Dorian Bay où les lumières chaudes éclairent ce cercle montagneux.

Expédition en zodiac pour l’opération « sauvetage d’amarres » avec Brice, Florent et David. Amarres laissées suite à l’hivernage à Dorian Bay d’un bateau brésilien. Elles étaient ensevelies sous plusieurs mètres de neige ! Notre opération sera rapidement interrompue par la venue de Podorange qui a dû quitter le mouillage car de gros glaçons venaient s’accumuler dangereusement contre la coque.

* Melchior par le canal Neumayer

Melchior sera le dernier mouillage de ce beau périple. Nous allons y attendre la bonne fenêtre météo. Déjà plusieurs bateaux y sont en attente. Bateaux plus petits qui sont déjà là depuis plusieurs jours et qui y resteront encore un bon bout de temps, leurs capacités ne leur permettant pas d’affronter les mêmes mers que Podorange. Pour nous, départ prévu le surlendemain à l’aube. Nous profitons encore des environs et prendrons l’apéritif avec nos voisins. Le jour du départ, tout le monde est sur le pont à 4h pour déneiger le bateau et prendre le chemin du Drake… pour un retour plus chahuté qu’à l’aller. Avec des vents de face, nous naviguerons donc au près et tirerons des bords (entendez en zig zag). Néanmoins, nous éviterons le pire en passant fort heureusement entre les dépressions et arriverons sans encombre à Puerto Williams après 5 jours de navigation.

Résumé de mes impressions : fabuleux, fascinant, extraordinaire, magique de naviguer dans cet univers de blanc et de silence parmi une faune extraordinairement proche et abondante.

Nous ne savons plus où regarder, là un banc de manchots, juste à côté, des phoques confortablement installés sur un glaçon. Et puis quelques otaries qui passent à proximité du bateau.

Quant aux baleines, nous aurons droit à un beau festival le premier jour et une journée complète où elles se succéderont pour notre plus grand bonheur. Plus discret se fera le léopard de mer que j’aurai la chance d’apercevoir en zodiac à moins d’un mètre de nous.

Eblouissants, fantastiques, émouvants ces icebergs de toutes les formes, de toutes les tailles. Ils sont majestueux, une vraie galerie d’art grandeur nature qui se laisse transporter au gré des courants.

Le mot de la fin ? M A G N I F I Q U E !